samedi 2 août 2014

Les douze travaux d'Anais



Des lumieres tamisees invitaient la foule rassemblee pour cette traditionnelle rencontre hebdomadaire a abandonner son corps. C'etait bien ca l'objectif. Oublier son corps. Ne. Pas. Parler. Deux heures de mouvements aleatoires dans une foule anonyme, rassemblee la pour experimenter une longue solitude de deux heures rythmee par une musique tantot lente, tantot effrenee.

Bouger sans but precis, pour le simple plaisir de saisir l'espace autour de soi et de lacher prise. La danse est une activite tres consciente: on laisse rarement completement au hasard les gestes qui nous animent. Malgre cette conscience du corps, toutes les cultures du monde ont integre la danse et la musique comme l'un des moyens possibles de franchir le passage vers cet autre monde auquel on croit, peu importe le nom qu'on lui donne.

Une activite consciente mais profondement spirituelle, donc.

Alors que je me trouvais dans ce rassemblement hors du commun, un peu malgre moi car tout ceux qui me connaissent un peu savent a quel point la danse n'est pas mon domaine, j'essayai donc, pour une unique fois dans ma vie s'il le faut, de saisir cet instant et de me preter au jeu. Carpe diem! Soyons fous! Ou est passee mon ouverture d'esprit? Ce serait donc ca, vieillir? Se crisper jusqu'a ne plus pouvoir bouger? Autour de moi s'entrechoquaient des corps inconnus qui faisaient parfois penser a ces spectacles de rock chretien, ou l'audience semble soudainement en etat de transe, deconnectee de notre realite et ayant franchi le pas vers l'au-dela? Ou la folie? Tout temoin ressent un malaise, c'est oblige.

Malaise, donc. Les pensees se succedaient. Comment the hell m'etais-je retrouvee ici, dans cet immense chapiteau en plein air avec toute la jeunesse expatriee d'Ubud, a tenter desesperement de me mettre dans l'etat d'abandon dont dependait ma survie (qui est tres peu commun chez moi, comme je disais)? Une rencontre dans un cafe avec un expatrie allemand au toupet impressionnant, alors que j'etais d'humeur loquace et que j'etais sous le charme d'Ubud ou j'etais depuis 5 minutes. Lorsqu'il m'a propose cette soiree, j'ai accepte parce que j'aurais tout accepte finalement, extasiee comme j'etais. Je vivais une parfaite lune de miel avec la ville, sa spiritualite, sa gastronomie, son esprit. Le coup de foudre. L'envie qui te tripote les entrailles de reporter ton billet d'avion. De l'annuler, pourquoi pas. Un aller simple sur la l... non sur Ubud, s'il-vous-plait!

La realite m'a frappee de plein fouet lorsque l'Allemand au Toupet et sa bande sont passes me prendre le lendemain, me sommant de monter sur le scooter de l'Ami. J'ai su qu'il n'y avait pas de retour possible. J'allais danser. C'etait comme m'annoncer ma sentence a l'issue d'un proces truque, sauf que c'etait moi qui avait truque l'affaire et qui avait decide de ma peine dans un moment d'absence. Danser, pendant deux longues heures. Du moins, je danserais si je survivais au trajet, en sens contraire du trafic et sans casque. Soyons fous.... :-S

Etrangement, sans me faire du bien au dos, j'ai fini par vivre quelques instants de laisser aller, interrompus bien souvent par mon Toupet qui surgissait de nulle part pour s'assurer que sa protegee n'etait pas tapie dans un coin sombre, a l'abri des autres danseurs assoiffes de sang. J'etais la, probablement souriante, surement assez zen. Sa presence encourageante et son aisance me donnaient les moyens de continuer encore un peu.

C'etait ce que je crois etre la derniere epreuve a ma zone de confort de ce voyage, surement la plus difficile pour moi. Eh bien oui, danser pendant deux heures dans une salle bondee d'inconnus me destabilise plus que respirer sous l'eau, passer 5 jours sur un bateau, monter un volcan et dormir dans une poubelle, faire le ramadan, faire ma toilette a l'indonesienne et entendre des rats se battre dans l'entre-toit quand je dors.

Je quitte Bali demain, a contrecoeur. Je me fais la promesse de revenir, et pour un ete complet s'il le faut. D'ici la, je m'empiffre allegrement (quelle bouffe! Quels gouts!) et je tache de ne pas regarder les minutes passer. Je me rassure en me disant que dans deux jours, je serai a Los Angeles chez la belle Melanie et que ce n'est donc pas vraiment la fin de mes vacances...!

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